LE COLON, UN ALTER EGO


J’ai d’abord rencontré la figure du colon dans mes collections de photographies d’archives. Immédiatement cette figure s’est imposée à moi comme une évidence. Depuis une dizaine d’années elle a progressivement envahi mon travail, devenant un alter ego qui s’inscrit au centre de tout. Plus aucune image produite sans ce colon, car l’image est devenue le domaine du colon.

J’étais à l’époque très nourri de lectures phénoménologiques, alors, découvrir les clichés de ces hommes en costume blanc, posant de manière passive et contemplative dans des cadres « exotiques », m’a suscité un questionnement quant à la présence de l’homme au monde. Car ces images contiennent une contradiction : elles intègrent des hommes – leurs auteurs – à des milieux, en même temps qu’elles signifient la dissociation de ces hommes avec ces milieux. Visuellement, les figures blanches de ces colons se découpent des contextes dans lesquels elles se trouvent et relèguent cette réalité environnante – qu’ils nous présentent comme inédite et sauvage – au rang de décor, au rang de l’imaginaire. Dans ces mises en scènes, ils globalisent tous les éléments extérieurs à eux, hommes inclus, et les font devenir objets de leurs représentations. Leur acte photographique devient alors acte d’appropriation et de domestication d’une réalité inconnue par l’apport de sens. Mon travail veut traduire les processus de cet acte, de ce positionnement, de ce système représentatif.

Le colon est donc devenu le symbole de cet acte d’objectivation. Il personnifie le regard occidental moderne qui, par sa distanciation, réduit tout à l’état d’objet de connaissance. Il est une conscience spectatrice qui veut tout assujettir à son expérience. Le colon met en évidence notre propension innée à vouloir une emprise sur le monde en le faisant prendre sens, afin qu’il serve notre propre signifiance.

En incarnant le colon, je veux également interroger l’ambiguïté des mythes que contient cette figure. Car elle contient deux représentations fondamentales qui s’opposent. La première fait référence à notre désir de découverte, au voyage, à notre attirance pour l’ailleurs, à une forme d’universalisme : elle renvoie aux mythes de l’aventurier, du voyageur, du pionnier, ou de l’explorateur. La seconde personnifie la domination exercée par l’occident sur d’autres cultures, elle renvoie à notre hégémonie et à notre expansionnisme historiques : elle incarne à elle seule la figure du maître, du militaire, du propriétaire terrien, du missionnaire, et de l’esclavagiste. Ces deux pôles s’opposent au sein de la figure coloniale au même titre que se contredisent les valeurs culturelles qui influencent aujourd’hui nos conceptions de l’autre, de l’ailleurs, et de l’inconnu.

LE COLON, UN ALTER EGO


J’ai d’abord rencontré la figure du colon dans mes collections de photographies d’archives. Immédiatement cette figure s’est imposée à moi comme une évidence. Depuis une dizaine d’années elle a progressivement envahi mon travail, devenant un alter ego qui s’inscrit au centre de tout. Plus aucune image produite sans ce colon, car l’image est devenue le domaine du colon.

J’étais à l’époque très nourri de lectures phénoménologiques, alors, découvrir les clichés de ces hommes en costume blanc, posant de manière passive et contemplative dans des cadres « exotiques », m’a suscité un questionnement quant à la présence de l’homme au monde. Car ces images contiennent une contradiction : elles intègrent des hommes – leurs auteurs – à des milieux, en même temps qu’elles signifient la dissociation de ces hommes avec ces milieux. Visuellement, les figures blanches de ces colons se découpent des contextes dans lesquels elles se trouvent et relèguent cette réalité environnante – qu’ils nous présentent comme inédite et sauvage – au rang de décor, au rang de l’imaginaire. Dans ces mises en scènes, ils globalisent tous les éléments extérieurs à eux, hommes inclus, et les font devenir objets de leurs représentations. Leur acte photographique devient alors acte d’appropriation et de domestication d’une réalité inconnue par l’apport de sens. Mon travail veut traduire les processus de cet acte, de ce positionnement, de ce système représentatif.

Le colon est donc devenu le symbole de cet acte d’objectivation. Il personnifie le regard occidental moderne qui, par sa distanciation, réduit tout à l’état d’objet de connaissance. Il est une conscience spectatrice qui veut tout assujettir à son expérience. Le colon met en évidence notre propension innée à vouloir une emprise sur le monde en le faisant prendre sens, afin qu’il serve notre propre signifiance.

En incarnant le colon, je veux également interroger l’ambiguïté des mythes que contient cette figure. Car elle contient deux représentations fondamentales qui s’opposent. La première fait référence à notre désir de découverte, au voyage, à notre attirance pour l’ailleurs, à une forme d’universalisme : elle renvoie aux mythes de l’aventurier, du voyageur, du pionnier, ou de l’explorateur. La seconde personnifie la domination exercée par l’occident sur d’autres cultures, elle renvoie à notre hégémonie et à notre expansionnisme historiques : elle incarne à elle seule la figure du maître, du militaire, du propriétaire terrien, du missionnaire, et de l’esclavagiste. Ces deux pôles s’opposent au sein de la figure coloniale au même titre que se contredisent les valeurs culturelles qui influencent aujourd’hui nos conceptions de l’autre, de l’ailleurs, et de l’inconnu.